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C’est dans la représentation des entre-deux, dans les interstices du temps et de l’espace que s’inscrit le travail de Simon Thiou. Le chantier, terrain d’observation où les éléments sont en mouvement permanent, où la terre se creuse pour accueillir le béton, où les morceaux d’architecture en devenir, formes abstraites posées au sol de manière aléatoire sont dans l’attente de prendre part à l’ouvrage. C’est là que Simon Thiou puise son vocabulaire sculptural, et c’est autour de ces moments suspendus, figés entre le présent et le futur qu’il écrit ses mythologies.

L’ensemble des sculptures présentées au Blockhaus empruntent leur forme aux blindages de chantier, éléments qui se glissent dans les tranchées pour retenir la terre de chaque côté, créant un espace de travail éphémère aux ouvriers. Le fuselage des caissons renvoie aux façades des architectures modernistes de Marcel Breuer et nous projette dans l’univers de Star Wars. Le vocabulaire formel trouve sa force ici dans les éléments que ses références spatiales font traverser, à la fois ancré dans le sol, exposé sur terre et projeté dans l’espace. L’avant-garde, le Bauhaus, la science-fiction sont le point d’articulation de cette nouvelle série conçue pour entrer en résonance avec les murs du Blockhaus, interprété par l’artiste comme une capsule qui retient le temps à travers le mythe porté par ces sculptures, sortes de vaisseaux confinés dans l’attente d’un départ. Projection stellaire, incandescence incessante, la vidéo présentée en écho aux sculptures se consume sans laisser de trace, ni du temps, ni de l’espace.

Selon Roland Barthes « Nous voguons sans cesse entre l’objet et sa démystification, impuissants à rendre sa totalité : car si nous pénétrons l’objet, nous le libérons mais nous le détruisons ; et si nous lui laissons son poids, nous le respectons, mais nous le restituons encore mystifié. » Simon Thiou joue avec le mythe, il ne le restitue pas, il le construit. Il invente une archéologie poétique, qui ne déterre pas pour interpréter le passé, mais donne une interprétation aux éléments du futur, alors qu’ils existent encore en tant qu’objets, avant de disparaître dans l’unité de l’architecture. À partir de ces objets, il compose une histoire, un vocabulaire, et choisit d’en extraire et de redéfinir la matière, la forme, le mécanisme.

À contre poids et contre sens des matériaux, la lourdeur des sculptures n’est qu’apparente, le béton n’est qu’en surface, la force de l’entretoise tient à sa fragilité. Simon Thiou manie ici la poésie avec le chantier, le réel avec l’insaisissable de l’imaginaire, le précieux avec le béton auquel il rend sa douceur.


Pauline Omnes